Tout comme nos poumons respirent, nos cœurs battent et nos os nous soutiennent, notre santé mentale est une partie de nous, omniprésente et essentielle. Pourtant, combien sommes-nous à réellement la considérer, à l'écouter ? Elle s’ancre au plus profond de nous, silencieuse mais impactante, influençant nos pensées, nos émotions, nos actions – même sans que nous en soyons conscients. Dans le quotidien effréné, elle est souvent mise de côté, passée sous silence, comme une question secondaire. Alors, pourquoi est-elle encore si souvent ignorée ou mal comprise ?
Les dernières données interrogent : selon l'enquête CoviPrev, les troubles anxieux et dépressifs se sont intensifiés, touchant une part importante de la population. Pourtant, dans le monde professionnel, malgré l'ampleur des chiffres, parler de santé mentale reste un défi, souvent relégué dans l'ombre. Quand la culture du silence détruit la santé mentale en entreprise, le cœur du problème devient évident. Pourquoi est-ce si difficile d'aborder ces sujets au travail ? Pourquoi sont-ils encore tabous, malgré leur impact évident ?
Notre société influence notre santé mentale
Les pressions sociales : une norme qui oppresse
Chaque jour, que ce soit dans mes échanges professionnels ou mes réflexions personnelles, une réalité s'impose avec force : la quête de performance est partout, omniprésente, presque intrusive. On nous répète qu’il faut être productif, être la meilleure, viser toujours plus haut. Cela devient la norme, un impératif qui s’impose même dans nos moments de répit. Tout semble calibré pour faire de nous des "machines à réussir" : nos réseaux sociaux glorifient la réussite, nos environnements de travail valorisent l’engagement total. Cette course à la productivité, sans relâche, finit par nous isoler des autres… et de nous-mêmes.
En cherchant à "réussir", à "tout donner", combien d'entre nous finissent par se couper de leur propre bien-être, s'éloigner de leurs proches, et oublier même ce qui les fait vibrer au plus profond ?
Pourtant, cette injonction à la réussite n'est pas sans effets sur notre santé mentale. Elle crée une pression insidieuse, celle de devoir être toujours "à la hauteur". Nous devenons nos propres juges, sévères, intransigeants, car échouer devient inconcevable. J'observe une "société de performance" qui pousse à l'auto-évaluation permanente, comme si le bonheur ne se mesurait plus qu'à travers le succès visible et quantifiable. C'est une illusion, mais une illusion qui pèse lourd.
Le paradoxe, c’est que cette norme de perfection impose une vision déformée de la santé mentale : admettre une faiblesse, montrer une vulnérabilité, c’est, pour beaucoup, risquer de déplaire, de passer pour "non compétitif".
Pourtant, nous le savons bien : nous sommes humains, imparfaits, sujets au doute et à la fatigue. Comment ne pas se sentir en décalage, voire inadéquat, dans un monde qui exige l’excellence sans jamais tolérer l’erreur ? Comment préserver notre santé mentale quand les valeurs de notre société ne laissent que peu de place pour le doute, la fragilité, ou même un simple temps de pause ? Combien parmi nous s’épuisent à correspondre à une image de perfection qui, au final, nous éloigne de notre équilibre intérieur ?
Les attentes culturelles : santé mentale et perceptions collectives
Dans notre culture française, la santé mentale est encore entourée de réticences et de non-dits, comme si notre psychique devait rester dans la sphère privée. Ici, le modèle de "la force tranquille", du stoïcisme face aux épreuves, continue de prévaloir. Cette conception valorise l’endurance, la capacité à "tenir bon" sans se plaindre. C’est une culture où l’on admire l'esprit de résistance, où "faire face" est souvent vu comme une vertu en soi.
Ce que je perçois quand j'interviens en entreprise, c'est que parler de SA santé mentale au travail peut être perçu comme quelque chose de trop intime ou même inapproprié. Les normes culturelles françaises tendent à valoriser le contrôle de soi et l’équilibre apparent, ce qui peut dissuader de révéler ses fragilités.
Cette vision collective crée une certaine distance envers le sujet de la santé mentale, un silence implicite qui laisse entendre que les difficultés psychiques sont des combats intérieurs que l’on devrait mener seul, avec discrétion.
Cette culture, profondément ancrée, rend parfois difficile l’accès à l’aide et la reconnaissance des maux invisibles, car admettre une souffrance psychique s'apparente encore, pour certains, à briser un tabou. Alors même que la France progresse dans la prise de conscience et la reconnaissance des enjeux de santé mentale, elle continue de transmettre des messages ambivalents, mêlant empathie et stigmatisation, ce qui freine une véritable ouverture sur le sujet.
Le monde professionnel : santé mentale, un sujet encore tabou
Même si France Inter titrait le 25 septembre dernier « Santé mentale, la fin d’un tabou ? », cette question est encore loin de trouver une réponse dans le monde du travail, ou alors de façon bien trop sporadique.
Dans le monde professionnel, la santé mentale demeure un sujet délicat, à peine abordé, comme si elle n’avait pas sa place dans un univers fondé sur la performance et l’efficacité. Bien que les discussions sur cette thématique se multiplient dans la sphère publique, le milieu professionnel semble encore en retard : reconnaître les fragilités, c'est parfois prendre le risque d’être perçu comme "moins fiable". Et ainsi, pour beaucoup, le silence devient la règle.
Pourtant, comme le dit l’expression « on ne peut pas guérir dans l’environnement qui nous rend malade », notre santé mentale est profondément influencée par le monde qui nous entoure, et le travail n’y fait pas exception. Nous connaissons tous quelqu’un, ou peut-être est-ce même votre cas, qui préfère éviter les actualités parce que cela lui plombe le moral. Les guerres, les catastrophes climatiques, les crises sociales : toutes ces situations de violence nous affectent, et cet impact est encore plus fort chez les jeunes, confrontés à des pressions supplémentaires comme le harcèlement scolaire ou les violences éducatives ordinaires.
Cette violence, de manière protéiforme, se perpétue dans nos environnements de travail : exigences élevées, pression des résultats, manque de soutien. Ce climat insécurisant pousse chacun à dissimuler ses failles, convaincu que montrer des signes de fatigue est un aveu d’échec.
La dissonance ? On a bien compris qu'une bonne santé favorise la performance, mais la culture ambiante incite encore au silence.
Pour que la santé mentale prenne enfin sa place, les entreprises doivent créer un climat de confiance et de respect. Un climat où chacun se sent en sécurité pour s’exprimer, sans crainte d’être jugé, mis à l’écart, ou humilié pour avoir osé sortir de la norme. S'exprimer sur ce que l'on ressent ne doit plus être une prise de risque, mais un droit fondamental.
Santé mentale et médias : au-delà des mots, les représentations
Quand les images et les récits façonnent nos perceptions
Les mots ont un poids, surtout lorsqu’ils sont répétés et diffusés par les médias. Que ce soit dans les actualités, les séries ou les films, la manière dont la santé mentale est représentée influence profondément notre perception du sujet. Les médias ont le pouvoir de façonner les idées, de normaliser certains discours, mais aussi d’entretenir des stéréotypes.
Lorsqu’un film associe systématiquement une maladie mentale à des comportements violents, ou que les actualités réduisent la souffrance psychique à quelques faits divers sensationnels, cela nourrit une vision biaisée et souvent négative de la santé mentale.
Ces représentations, souvent simplistes, ont un impact direct sur la perception collective. Elles influencent les préjugés que nous entretenons et peuvent rendre difficile pour beaucoup d’admettre leurs propres difficultés.
Qui aurait envie de partager ses vulnérabilités quand on sait qu'elles sont encore souvent associées, à tort, à des comportements déviants ou incontrôlables ? Dans ce contexte, la santé mentale reste un sujet qui divise, inspire la méfiance, et les tabous continuent de se renforcer.
Heureusement, des initiatives émergent pour changer cette dynamique. Psycom, par exemple, sensibilise les journalistes pour les aider à traiter le sujet de manière nuancée et respectueuse. Leur démarche est simple mais essentielle : informer sans stigmatiser. Il s’agit d’accompagner les professionnels des médias dans leur approche des questions de santé mentale pour qu’ils contribuent à une représentation plus juste et moins sensationnaliste.
Changer la manière dont la santé mentale est abordée dans les médias contribue à briser les tabous. Car, au final, les mots que nous entendons et lisons ont le pouvoir d’éduquer, de sensibiliser, mais aussi de blesser ou de rejeter. En réformant la manière dont elle est représentée, nous pourrons enfin ouvrir la voie à une culture où la santé mentale est comprise et acceptée, sans jugement ni stigmatisation.
Derrière les mots : comprendre stéréotypes, préjugés et stigmatisation
Pour parler de santé mentale de manière éclairée, il me semble dans un premier temps nécessaire de comprendre les termes qui entourent souvent ce sujet et contribuent à la persistance des tabous. Stéréotypes, préjugés, discrimination et stigmates sont des mots que l’on entend fréquemment, mais qui cachent chacun une réalité spécifique.
Le stéréotype
Les stéréotypes sont des croyances simplifiées et figées que nous attribuons à un groupe de personnes, souvent sans les connaître. Ils nous amènent à faire des généralisations : par exemple, penser que les personnes souffrant de troubles mentaux sont imprévisibles ou dangereuses. Ces idées préconçues, bien que souvent erronées, se diffusent largement, notamment à travers les médias, et influencent notre manière de percevoir ceux et celles qui expérimentent les troubles psychiques.
Les préjugés
Si le stéréotype est une idée, le préjugé est un jugement. Un préjugé est une opinion, souvent négative, formée à partir des stéréotypes et non de l’expérience personnelle. Par exemple, croire que quelqu'un vivant avec une dépression est "paresseux" ou "faible" relève du préjugé. Les préjugés sont émotionnels et renforcent notre méfiance ou nos attitudes négatives envers certaines personnes, sans même leur laisser la possibilité de montrer qui elles sont vraiment.
La discrimination
La discrimination est l’action qui découle de nos stéréotypes et préjugés. Lorsqu’on traite une personne différemment ou de manière injuste en raison de ses troubles, on discrimine. Cela peut se manifester par un refus d’embauche, un manque d’accès à certains soins ou un isolement social. La discrimination entraîne des conséquences concrètes et douloureuses dans la vie des personnes concernées, en limitant leurs opportunités et en renforçant leur souffrance.
Le stigmate
Enfin, le stigmate est la marque sociale qui reste attachée à une personne en raison de ses troubles mentaux. Être stigmatisé, c’est être étiqueté comme "différent" ou "moins valable" aux yeux des autres. Cette stigmatisation prend racine dans les stéréotypes, les préjugés et la discrimination, et elle contribue à l’isolement des personnes concernées. Le stigmate ne se limite pas aux regards extérieurs ; il est parfois intériorisé par les personnes elles-mêmes, qui finissent par croire qu’elles valent moins que les autres.
L'auto-stigmatisation : quand le regard des autres devient le nôtre
L’auto-stigmatisation est une conséquence insidieuse de la stigmatisation sociale, qui conduit une personne à intégrer les jugements négatifs de la société à son propre regard sur elle-même. Lorsqu’une personne vivant avec un trouble mental a été confrontée à des stéréotypes, des préjugés ou à la discrimination, elle peut finir par croire ces idées fausses, en venant à se considérer elle-même comme "moins valable", "faible", ou "différente".
Les effets de l’auto-stigmatisation sont profonds. Elle peut générer un sentiment de honte et conduire à l’isolement, à la réticence à demander de l’aide, ou à minimiser ses propres difficultés par peur d'être jugé. Par exemple, une personne vivant avec une dépression peut refuser de consulter ou de prendre un traitement, parce qu’elle pense que cela confirme son "échec" ou sa "faiblesse".
Il est d’autant plus complexe de surmonter cette auto-stigmatisation lorsqu’elle touche les professionnels de santé eux-mêmes.
Comme le montre Schulze, même des soignants peuvent avoir des attitudes négatives envers les personnes souffrant de troubles de santé mentale. Imaginez alors la difficulté pour un soignant de se reconnaître lui-même en difficulté lorsqu’il fait l’expérience d’un trouble psychique.
On peut être spécialiste d’un domaine et malgré tout vivre un trouble lié ; on peut jouir d’un statut privilégié et ressentir un mal-être profond. Il n’y a pas de frontière entre ceux qui vivent des troubles psychiques et ceux qui seraient "forts". Cette réalité démontre que la santé mentale est universelle et que personne n’est à l’abri.
Comme le souligne Psycom, sensibiliser et déconstruire les stéréotypes permet aux personnes concernées de se libérer du poids de l’auto-stigmatisation. Mais l'auto-stigmatisation n'est pas une fatalité : elle peut être combattue par des efforts collectifs et individuels pour transformer notre manière de voir et de parler de la santé mentale, pour faire tomber enfin les barrières invisibles entre nous.
Quand la stigmatisation gangrène le milieu professionnel
La culture du silence : pourquoi le travail reste un espace où l’on tait ses difficultés
Nous l'avons vu, le monde du travail est un espace où, bien souvent, la norme est de taire ses difficultés. Sociologiquement, ce silence trouve ses racines dans des valeurs profondément ancrées de notre société française et occidentale : la valorisation de la performance, la compétition, et la quête d’efficacité, qui érigent la force en modèle à suivre. Loin d’être un simple choix personnel, cette tendance au silence est façonnée par des normes collectives, des attentes implicites qui pèsent sur les individus. Pierre Bourdieu décrivait cette pression sociale comme un "habitus" : des manières d’être et de faire qui nous sont transmises et que nous intégrons inconsciemment, nous amenant à reproduire ces codes au quotidien.
Dans cet environnement, les difficultés personnelles sont perçues comme des faiblesses incompatibles avec la productivité et l’engagement. La philosophie de l’utilitarisme, développée par des penseurs comme Bentham, se reflète ici : l'individu doit être "utile" et "efficace", ses besoins personnels passant au second plan. Cette logique amène à dissimuler ses vulnérabilités par peur de l’échec, de la sanction ou du jugement des pairs, ce que le philosophe Michel Foucault appelle une "surveillance diffuse", qui fait de chacun son propre juge. La stigmatisation de la santé mentale au travail, issue de ces normes sociales, devient ainsi un cercle vicieux où chacun est encouragé à cacher ses difficultés, au risque de renforcer encore le silence.
Pourtant, les recherches en psychologie sociale et en sociologie du travail montrent que ce climat de silence a un coût important. Le sociologue Emile Durkheim a longuement exploré l'importance du lien social dans son ouvrage "Le Suicide", où il met en évidence le rôle protecteur de l'intégration sociale. Appliquée au travail, cette perspective signifie que le soutien social, loin d’être un frein, est en réalité un levier de performance et de santé.
Des études en psychologie du travail confirment que les employés qui se sentent soutenus et compris par leurs collègues et leur hiérarchie développent un meilleur engagement, une motivation accrue et une plus grande capacité à surmonter le stress. Le soutien social agit comme un tampon face aux exigences du travail, permettant une meilleure régulation des émotions et une résilience renforcée.
Alors même que la culture du silence prédomine (et abîme), les données montrent que la performance et la satisfaction au travail dépendent largement de la qualité des interactions sociales et du soutien entre collègues. Ce soutien crée un espace où l’on peut exprimer ses difficultés sans peur du jugement, contribuant à renforcer la confiance et l’engagement des individus. En somme, pour dépasser la culture du silence, nous nous devons de revaloriser la solidarité et l’ouverture au sein des organisations.
Entre stigmates et réalités : les effets invisibles de la stigmatisation sur la santé mentale au travail
Les idées reçues autour de la santé mentale – ces stéréotypes et préjugés – ne se limitent pas à la vie privée ; ils suivent les individus jusqu'au travail, où ils peuvent faire des ravages. Au bureau, des idées fausses persistent, par exemple celle que quelqu'un qui traverse une période difficile est moins capable et le restera peut-être à vie. Ces stéréotypes créent une sorte de "marque" qui colle à ceux qui osent montrer leurs difficultés, les poussant souvent à se taire pour éviter le jugement des autres.
Je vous propose ici de décortiquer trois clichés courants et de proposer, à la place, des contre-clichés qui valorisent la diversité des expériences de santé mentale. Cette approche est issue de la brochure « Tous fous ?! Parler autrement de la santé mentale » de la Fondation Roi Baudoin.
« Les chercheurs ont identifié cinq frames appelés frames problématisants. Ces cadres présentent la notion de "personne avec un trouble psychique" comme un problème. Bien que cela permette de mettre la question sur le devant de la scène, il y a un inconvénient : en problématisant, on risque de stigmatiser. »
Les clichés les plus courants
La peur de l'inconnu
La "peur de l’inconnu" s’appuie sur l’idée que tout ce que nous ne comprenons pas ou ne connaissons pas est potentiellement risqué, voire menaçant. Dans le monde du travail, cette peur est particulièrement marquée lorsqu’il est question de troubles psychiques. Pour beaucoup, la santé mentale reste une "zone floue", perçue comme imprévisible et échappant aux normes habituelles. Cette méconnaissance crée de la méfiance : on peut redouter que quelqu’un en difficulté devienne dangereux, imprévisible, ou même qu'il perturbe l'équilibre du groupe.
La maîtrise de soi
La "maîtrise de soi" est souvent érigée en vertu absolue. On valorise ceux qui restent calmes, contrôlés, capables de gérer leurs émotions quelles que soient les circonstances. Mais cette quête excessive de maîtrise peut devenir un fardeau, en particulier pour les personnes qui vivent des troubles psychiques. L’idée dominante est que chacun devrait savoir gérer ses "pulsions" ou ses pensées et qu’une difficulté à y parvenir signale un manque de professionnalisme ou une "faiblesse".
Selon cette perspective, une personne qui peine à garder un contrôle parfait de ses émotions ou qui montre une vulnérabilité est perçue comme une "perturbation" pour son entourage. On attend d'elle qu'elle se ressaisisse, qu’elle retrouve une maîtrise impeccable, sans laquelle elle risque d’être jugée, voire mise à l’écart.
Le monstre
Les troubles psychiques sont parfois perçus comme un "monstre" que certains doivent affronter, une sorte de menace extérieure qui s’impose aux individus. Dans cette perspective, les personnes concernées ne sont plus considérées comme des collaborateurs ayant des difficultés mais comme des "victimes" d’une force qui les dépasse, quelque chose qu’ils doivent "dompter" ou "combattre". Le langage utilisé reflète cette vision guerrière : on parle de "démons", de "bêtes" à vaincre, et les personnes sont vues comme des "proies" qui doivent "s’armer" pour faire face.
Cette approche entraîne une pression immense sur les personnes en difficulté : elles sont poussées à mobiliser toute leur énergie pour lutter, souvent avec l’aide d’une "armée" de professionnels. Cette bataille constante contre un "monstre invisible" devient un combat intérieur qui épuise, car l’énergie dépensée pour "maîtriser" ce trouble laisse peu de place pour s’épanouir ou se concentrer pleinement sur leurs projets professionnels. Ce regard sur les troubles psychiques, bien que parfois bien intentionné, finit par renforcer l’isolement des personnes concernées.
Les contre-clichés
À l'inverse, les contre-clichés, ou "counterframes", offrent une approche dédramatisante des troubles psychiques. Plutôt que de présenter une personne avec un trouble psychique comme un problème, ces contre-clichés proposent une image plus positive, mettant en avant une perspective de rétablissement et relativisant la situation. En faisant cela, ils s'opposent directement aux stéréotypes et à la stigmatisation.
Il y a tout de même un inconvénient potentiel : en édulcorant les troubles psychiques, il est possible d’atténuer le sentiment d'urgence qui devrait les entourer. Par conséquent, cela pourrait minimiser les discussions et les actions mises en place en faveur de leurs problématiques.
La mosaïque
Une vision moins stigmatisante des troubles psychiques consiste à les envisager comme une mosaïque : une expression d’expériences variées, de sensibilités uniques et de vulnérabilités qui ne définissent pas entièrement une personne. Plutôt que de réduire les individus à leurs difficultés, cette approche reconnaît que chacun est bien plus complexe, avec des facettes multiples qui vont bien au-delà de ses défis mentaux. Dans cette perspective, les troubles psychiques ne sont pas une question de "noir" ou de "blanc", mais une expérience riche et nuancée, comme une mosaïque de moments, d’émotions et de forces qui coexistent.
Cette vision s’applique particulièrement au monde du travail, où les personnes peuvent vivre des hauts et des bas sans que cela les définisse. Elle encourage à voir les collaborateurs comme des individus complets, dont les défis font partie de l’histoire personnelle mais ne les réduisent pas à cela. Ainsi, une personne ayant vécu un trouble peut aussi posséder des qualités de résilience, d’empathie, et de créativité qui enrichissent l’environnement professionnel.
Le cas particulier
Les troubles psychiques sont parfois perçus comme le signe de capacités exceptionnelles, une sorte de "don" ou de particularité qui rend la personne "extraordinaire". Dans cette vision, si j'expérimente un trouble psychique, je peux être perçue comme un "cas particulier", une personne dont les difficultés seraient la contrepartie d’un talent ou d’une sensibilité hors du commun.
On valorise ici certaines qualités liées à la sensibilité, à la créativité ou à l’intuition, attention toutefois à ne pas enfermer la personne dans une "case" où elle est définie uniquement par cette "particularité". Cette approche, bien que positive en apparence, peut devenir contraignante, car elle nous maintient dans une vision limitée et peut nous empêcher de nous sentir pleinement intégré dans le collectif. Les qualités uniques de chacun méritent d’être reconnues, mais sans en faire un trait distinctif qui isole ou dénature la personne.
La longue marche
Dans cette vision, la vie est perçue comme une "longue marche", un voyage semé d’embûches et de découvertes, où chaque étape nous apprend un peu plus sur nous-mêmes. Les troubles psychiques, comme d’autres défis, deviennent des passages de ce parcours qui, bien qu’ardu, est aussi riche de sens. Ici, chacun avance à son rythme, avec ses hauts et ses bas, ses moments d’élan et ses chutes. C’est cette marche personnelle qui forge l’individu, le pousse à aller plus loin dans la compréhension de soi et dans l’acceptation de ses vulnérabilités.
Dans ce voyage, il est naturel de s’entourer de "sherpas" : des professionnels, des proches, des mentors, qui offrent leur soutien et leurs conseils. Mais, comme le dit si bien Inox Tag dans Kaizen, la progression est personnelle, et le changement se fait pas à pas. Ces guides sont là pour éclairer le chemin, mais c’est à chacun de faire sa propre marche, de gravir son propre sommet, en s’appuyant sur ses forces et ses ressources intérieures.
Appliquée au milieu professionnel, cette approche inspire une culture où les parcours singuliers sont respectés et valorisés.
Elle rappelle que chaque personne a son propre Everest à affronter, que chaque difficulté rencontrée peut être une opportunité de croissance.
En considérant la santé mentale comme un voyage unique pour chacun, on ouvre la voie à un environnement de travail où les défis psychiques sont acceptés comme des expériences humaines qui, loin d’affaiblir, contribuent à renforcer et enrichir l’individu.
Quelques mots pour conclure...
Longtemps, la santé mentale est restée en marge, réduite au silence et à la honte. Pourtant, elle est au cœur de l’humain, tout aussi essentielle et complexe que la santé physique. À travers nos croyances culturelles, les messages véhiculés par les médias et les normes de performance en entreprise, nous avons construit des barrières invisibles qui limitent notre compréhension et alimentent la stigmatisation.
Ces idées reçues, ces clichés, ces injonctions au silence… ils pèsent lourd, et nombreux sont ceux qui, sous ce poids, taisent leurs douleurs et cachent leurs vulnérabilités, au risque de s’y perdre.
Mais aujourd’hui, un tournant est nécessaire, une remise en question profonde de nos valeurs et de nos pratiques. Notre société évolue, et avec elle, notre perception de la santé mentale. La vision de la "mosaïque", du "chemin de vie", ou de la "longue marche" nous invite à reconnaître que chaque personne est bien plus qu’une difficulté passagère, qu’un diagnostic, qu’un parcours d’obstacles.
Nos fragilités, nos sensibilités, sont des facettes d’une humanité riche et nuancée, où la force n’est pas l’absence de douleur, mais le courage d’être soi-même, tout simplement.
Dans le monde du travail, cette culture de la vérité est urgente. Il ne s’agit plus de faire semblant, de se conformer à des images idéales, mais d’oser créer des environnements où chacun a la liberté de se montrer authentique, où chacun peut exprimer ses difficultés sans craindre d’être réduit à ses faiblesses.
Un climat de confiance, où l’on peut partager sans être jugé, soutenu sans être catalogué. C’est dans cette relation sincère, humaine, que se trouve la véritable performance : une performance qui n’oppose plus le bien-être et l’efficacité, mais qui les fusionne dans une dynamique d’épanouissement commun.
Avançons donc ensemble vers cette vision. Vers un monde où la santé mentale est enfin libérée de ses stigmates, où le soutien remplace la peur, et où chacun peut trouver sa place, fort de sa vérité, et libre de s’épanouir sans masque ni façade.
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