La fatigue n'est pas simplement cet invité indésirable qui nous fait bailler pendant une réunion. C'est un adversaire silencieux, sournois, qui envahit nos lieux de travail, dérobe nos performances et déstabilise nos équipes. Imaginez : un travailleur sur cinq, la tête lourde, les yeux qui se ferment, en pleine journée. L'épuisement n'est pas qu'un simple état, c'est un signal d'alarme. Face à cette épidémie silencieuse, il est temps de comprendre pourquoi nous sommes si fatigués et comment y remédier.

Créé par Noémie Guerrin avec Adobe Firefly (2023, Tous droits réservés)

Comprendre la fatigue 

Nous sommes tous fatigués de temps en temps. Mais qu'est-ce que cela signifie réellement d'être "fatigué" ? Et saviez-vous qu'il existe différentes formes de fatigue ?

La fatigue, au sens le plus basique, est une diminution de la capacité à fonctionner en raison d'un manque d'énergie physique ou mentale. Elle peut être occasionnelle après une nuit blanche ou un effort physique intense, mais lorsque cette lassitude persiste, elle peut signaler quelque chose de plus profond.

La fatigue physique

La fatigue physique est souvent liée à l'effort, à une activité soutenue ou à un manque de repos. Après une bonne nuit de sommeil ou un repos approprié, cette fatigue s'estompe généralement. Elle est ressentie dans tout le corps, comme des muscles lourds ou une incapacité à bouger aussi rapidement ou efficacement que d’habitude.

La fatigue mentale

La fatigue mentale est le produit d'un surmenage des circuits neuronaux dans le cerveau. Lorsque nous nous concentrons, prenons des décisions ou traitons des informations, nous utilisons des zones spécifiques de notre cerveau qui consomment de l'énergie. Au fil du temps et sans pause appropriée, ces zones peuvent devenir surchargées.

Sur le plan biochimique, lors d'activités mentales intenses, le cerveau utilise le glucose comme source d'énergie principale. Une utilisation prolongée sans renouvellement adéquat des réserves peut entraîner une diminution des performances cérébrales.

De plus, le stress ou l'anxiété peuvent augmenter la libération de certaines hormones, comme le cortisol. À long terme, une exposition prolongée à ces hormones peut perturber les fonctions cérébrales, affecter la mémoire et la concentration.

Tout comme pour la fatigue physique, le repos est crucial. Un sommeil de qualité permet au cerveau de récupérer, de rétablir ses niveaux d'énergie et de "nettoyer" les déchets accumulés pendant la journée. Sans une pause ou un sommeil suffisants, cette sensation de "brouillard mental" peut s'aggraver et affecter notre capacité à fonctionner efficacement.

La fatigue émotionnelle

La fatigue émotionnelle est directement liée à la manière dont notre cerveau traite et répond aux expériences émotionnelles. Lorsque nous vivons des événements stressants ou émotionnellement chargés, cela active des régions spécifiques du cerveau, notamment l'amygdale, qui joue un rôle central dans la gestion des émotions.

Au niveau biochimique, une surcharge émotionnelle peut perturber l'équilibre des neurotransmetteurs, ces messagers chimiques du cerveau. Par exemple, un stress prolongé peut entraîner une libération excessive de cortisol, une hormone liée au stress. Cela peut, à son tour, affecter les niveaux de sérotonine, un neurotransmetteur qui joue un rôle clé dans la régulation de l'humeur, du sommeil et de l'appétit.

Des niveaux déséquilibrés de sérotonine peuvent contribuer à des sentiments de tristesse, de désintérêt ou de fatigue. De plus, le cerveau, en essayant de s'adapter à un état émotionnel prolongé, peut consommer davantage d'énergie, laissant l'individu se sentir épuisé ou vidé.

La gestion de cette fatigue requiert souvent un mélange de repos, de soutien social et, dans certains cas, d'un accompagnement ou d'une thérapie pour aider à traiter la source sous-jacente du stress émotionnel.

La fatigue chronique

La fatigue chronique n'est pas seulement une simple sensation de somnolence ou de lassitude; elle est une lourdeur omniprésente qui peut s'infiltrer dans chaque facette de la vie d'un individu. Biologiquement parlant, bien que sa cause exacte reste un sujet de recherche, on pense qu'elle pourrait être liée à des déséquilibres dans le système immunitaire, à des perturbations dans la manière dont les cellules produisent et utilisent l'énergie, ou à des anomalies dans les neurotransmetteurs du cerveau.

Des études ont montré que le cerveau des personnes souffrant de fatigue chronique peut réagir différemment au stress, entraînant une réponse exacerbée de certaines parties du cerveau. Ces réponses peuvent être liées à des déséquilibres dans les niveaux de certaines hormones ou cytokines, molécules produites par le système immunitaire.

Il est également à noter que la fatigue chronique peut être accompagnée d'autres symptômes tels que des douleurs musculaires, des troubles de la mémoire ou de la concentration, et des maux de tête. Ces symptômes renforcent l'idée que cette fatigue n'est pas simplement le résultat d'un surmenage, mais plutôt le signe d'un dysfonctionnement plus profond de l'organisme. Pour les personnes touchées, il est essentiel de consulter un professionnel de santé pour explorer les causes potentielles et élaborer une stratégie de prise en charge.

Le nouveau visage de la fatigue en entreprise

Au gré de mes interventions professionnelles, le malaise est palpable : la fatigue, autrefois perçue comme un simple signe de lassitude physique après une longue journée, a mué. Elle a pris des dimensions plus profondes, plus insidieuses. Là où l'on pouvait parler de "burn-out" depuis quelques années, l'enjeu a encore évolué vers une fatigue plus globale, englobant à la fois le mental, le physique et l'émotionnel.

Les nouveaux maux du travailleur moderne

L'anxiété, l'isolement, les nuits blanches et l'indécision sont devenus le lot quotidien de nombreux travailleurs. Ces symptômes, autrefois considérés comme individuels, se sont généralisés, reflétant une transformation profonde de nos structures professionnelles et sociétales. Cette évolution s'inscrit dans une tendance croissante à la mise en avant de l'individualisation, où chaque personne est constamment poussée à se surpasser, à se démarquer et à trouver sa propre voie.

La "flemme" post-covid : symptôme d'une détresse plus profonde

La récente étude de la Fondation Jean Jaurès est venue mettre en lumière un phénomène que beaucoup avaient perçu mais qui restait encore dans l'ombre. Ce rapport souligne non seulement l’augmentation de la "flemme" post-Covid en France, mais met aussi en avant une détresse latente, une sorte de mal-être généralisé qui s'était installé bien avant la pandémie mais qui n'était pas pleinement reconnu.

La période de confinement a agi comme un révélateur. Les interactions sociales se sont amoindries, le télétravail est devenu la norme pour bon nombre, et la séparation entre vie professionnelle et vie personnelle s'est estompée. Ce bouleversement des routines et des repères a accentué un sentiment d'isolement, d'incertitude et d'inquiétude face à un avenir incertain.

Mais cette détresse ne se limitait pas aux inconvénients du télétravail ou à l'isolation sociale. Elle était également alimentée par une surcharge de travail pour certains, des pertes d'emploi pour d'autres, des inégalités exacerbées et un flot constant d'informations anxiogènes. Le confinement a simplement amplifié une réalité sous-jacente : un malaise profond dans nos modes de vie et de travail, une recherche d’équilibre entre le besoin de sécurité et celui d’autonomie.

Les entreprises ont dû s'adapter rapidement, mais les solutions mises en place ont souvent été provisoires, parfois mal ajustées. Les employés, quant à eux, ont dû faire face non seulement à la pression du travail, mais aussi à la gestion du foyer, à l'enseignement à domicile et aux inquiétudes liées à la santé. Le cumul de ces stress a entraîné une usure mentale, émotionnelle et physique, dont les conséquences se font encore ressentir.

La détresse dont parle l'étude de la Fondation Jean Jaurès n'est donc pas simplement une "flemme" passagère. Elle est le reflet d'une société en mutation, qui doit apprendre à composer avec de nouvelles réalités, à reconnaître les signes de fatigue et de détresse et à mettre en place des mesures pour y répondre.

Un retour historique sur l'épuisement

Si on s'aventure dans une exploration historique, on découvre que les manifestations de l'épuisement ont toujours été présentes, mais elles se sont transformées au fil du temps. Aux premiers temps de l'histoire, l'épuisement était principalement physique, lié aux dures réalités du travail manuel et aux exigences des métiers de l'époque. Puis, à mesure que la société se complexifiait, les sources d'épuisement se sont diversifiées. Les intrigues de cour, les complexités politiques et les progrès intellectuels ont introduit une nouvelle forme d'épuisement, plus mentale, se manifestant par des tensions psychologiques et émotionnelles.

Avec la révolution industrielle, un nouveau tournant s'est opéré. Les ouvriers, soumis à des cadences infernales, et l'élite, confrontée à un afflux massif d'informations et de connaissances, ont tous ressenti une forme d'accablement. L’ère de la surcharge était née, touchant à la fois le corps et l’esprit.

La sollicitation à l'ère numérique

À l'ère du tout numérique, la sollicitation constante de notre attention par les technologies et le flux ininterrompu d'informations génèrent une pénibilité cognitive accrue. Nous sommes bombardés de stimuli, exigés de rester connectés à chaque instant et de naviguer dans un océan d'informations, souvent sans filtre. Cette surcharge informationnelle, combinée à la pression de constamment se redéfinir et s'adapter à un environnement en rapide évolution, contribue à un épuisement mental sans précédent.

Considérer la fatigue comme une simple "normalité" de la vie moderne est une grave erreur. En la banalisant, nous courons le risque de négliger des signaux précoces indiquant que notre bien-être est en péril. Il est essentiel de comprendre que cette fatigue n'est pas une faiblesse, mais plutôt un indicateur biologique que nous atteignons nos limites. En reconnaissant ce fait, nous pouvons prendre des mesures proactives pour protéger notre santé.

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Et les obligations de l’employeur dans tout ça ?

Dans le monde du travail, la loi joue un rôle essentiel pour assurer la sécurité et le bien-être des employés. Et c'est là qu'intervient l'obligation légale de prévention. C'est, en somme, une règle qui stipule que chaque employeur a la responsabilité de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés.

Mais parlons clairement : que signifie réellement cette règle pour un employeur et son équipe ?

En premier lieu, cela signifie que l'employeur a l'obligation de faire tout son possible pour éviter que ses employés ne souffrent de risques psychosociaux (RPS) tels que le stress au travail, le harcèlement ou d'autres formes de malaise professionnel. Ce n'est pas seulement une bonne pratique ; c'est un impératif légal.

Cependant, la réglementation, aussi importante soit-elle, n'est qu'un cadre. Elle trace les grandes lignes, mais le véritable enjeu réside dans la mise en œuvre. C'est là qu'intervient l'aspect humain. Car, derrière chaque règle ou réglementation, il y a des personnes. Et ces personnes ont besoin d'être comprises, écoutées et soutenues.

Alors, comment faire la transition entre une règle sur papier et une véritable action sur le terrain ? C'est là qu'intervient la "pédagogie de la simplification". Plutôt que de se perdre dans des jargons juridiques, il est essentiel de rendre la règle accessible à tous. Expliquer clairement ce que signifie l'obligation, pourquoi elle est importante et comment elle peut être mise en œuvre.

De plus, la sensibilisation est la clé. Chaque membre de l'équipe doit comprendre la gravité des RPS et pourquoi la prévention est si cruciale. Ce n'est pas seulement pour éviter des conséquences juridiques, mais surtout pour assurer le bien-être des employés, qui est intrinsèquement lié à la croissance et au succès de l’entreprise.

En résumé, si la loi fournit le cadre, c'est l'engagement humain, l'écoute et l'action concrète qui font toute la différence. L'obligation légale est certes essentielle, mais sans une approche humaine et proactive, elle restera simplement un texte sur papier. C'est l'alliance de la réglementation et de la bienveillance qui permettra de créer un environnement de travail sain et productif.

La stratégie éthique et responsable des organisations

Nous venons de le voir l’épuisement professionnel n'est pas qu'un simple terme à la mode dans le milieu de travail contemporain. C'est une réalité tangible qui affecte non seulement la productivité d'une entreprise, mais aussi la santé de ses employés. Mais au-delà de ces constats alarmants, comment une organisation peut-elle agir de manière éthique et responsable ?

Mieux connaître ce phénomène :


La fatigue n'est pas qu'une simple envie de dormir. Elle peut être le résultat de plusieurs facteurs : stress prolongé, manque de sommeil, tâches répétitives et ennuyeuses, et même des facteurs environnementaux comme un éclairage insuffisant ou un niveau de bruit élevé. Cette fatigue peut entraîner une baisse de productivité, une augmentation des erreurs et des risques professionnels.

Miser sur l'Humain :


Au cœur de tout cela se trouve l'humain. Chaque employé est unique, avec ses besoins, ses aspirations et ses défis. L'approche "taille unique" n'est pas viable. Il est crucial d'adopter une approche proactive et personnalisée pour chaque individu. La prévention efficace et continue n'est pas seulement un choix, c'est une condition sine qua non pour le bien-être et la réussite de l’organisation.

Faire participer les salariés :


Pour qu'un projet de prévention soit viable, il est essentiel que les salariés y adhèrent. Comment y parvenir ? En les sensibilisant à l'importance d'un équilibre entre vie professionnelle et personnelle. En les encourageant à adopter des habitudes saines, comme une alimentation équilibrée et une activité physique régulière. Mais aussi, en veillant à ce qu'ils bénéficient d'un environnement de travail adapté : éclairage adéquat, pauses régulières, rotation des tâches pour éviter la monotonie.

Réfléchir à la responsabilité de l'employeur :


La réglementation est là pour guider, mais c'est l'approche humaine qui fera la différence. En tant qu'employeur, il est de votre responsabilité de veiller à ce que le milieu de travail n'entraîne pas l'épuisement. Variez les tâches, proposez des quarts de travail écourtés, sensibilisez vos équipes. Créez un environnement où chacun se sent écouté, valorisé et soutenu.


L'éthique et la responsabilité ne sont pas seulement des mots ; ce sont des actions concrètes. En plaçant l'humain au centre de la stratégie organisationnelle, non seulement nous répondons à une obligation morale, mais nous forgeons également les bases d'une entreprise florissante et durable.

Créé par Noémie Guerrin avec Adobe Firefly (2023, Tous droits réservés)

Les solutions pour gérer et prévenir la fatigue

La fatigue, sous toutes ses formes, est un facteur de risque pour la santé des travailleurs et la performance des entreprises. Sa prévention et sa gestion sont cruciales pour garantir un environnement de travail sain et productif. Voici des recommandations concrètes pour les dirigeants et les salariés.

  • Pour les salariés :

Alimentation : Une alimentation équilibrée est un rempart contre la fatigue. Privilégiez les glucides complexes comme les amidons, et évitez les sucres rapides ainsi que la malbouffe.

Activité physique : L'exercice renforce non seulement le corps, mais aussi l'esprit. Adoptez une routine d'exercices réguliers pour renforcer vos capacités cardiovasculaires et musculaires et augmenter votre endurance.

Sommeil : Il est essentiel de garantir un sommeil suffisant et de qualité. Visez entre 7,5 et 8,5 heures par nuit pour permettre à votre corps de se régénérer.

Conduite : Si vous êtes fatigué, évitez de conduire, particulièrement dans des conditions difficiles. La fatigue peut diminuer vos réflexes et votre jugement.

  • Pour les dirigeants :

Environnement de travail optimal : Pour vous aussi, un éclairage adapté, une température confortable et un niveau sonore acceptable sont essentiels. Votre bureau est-il conçu pour la productivité sans épuisement ?

Variez vos tâches : La monotonie peut aussi vous toucher. Essayez de diversifier vos activités pour garder une fraîcheur mentale.

Accordez-vous des pauses : Vous avez aussi besoin de moments pour décrocher, réfléchir ou simplement vous détendre. Ces moments augmentent votre efficacité.

Équilibre vie professionnelle-personnelle : Être à la tête d'une entreprise est exigeant. Trouvez un équilibre sain entre votre vie professionnelle et vos moments privés pour éviter le burn-out.

Planifiez vos journées : Si possible, essayez d'ajuster vos horaires en fonction de votre rythme circadien. Travaillez à vos heures les plus productives.

CCHST.ca - Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail

Quelques mots pour conclure

La fatigue, bien plus qu'un simple symptôme physique, est devenue un baromètre de notre société contemporaine. Dans l'ombre de la période post-Covid, un malaise profond a émergé, révélant une épidémie de lassitude touchant le cœur et l'âme de notre collectivité. Alors que nous naviguons à travers des crises sociétales, des préoccupations environnementales et une relation au travail en constante mutation, cette fatigue reflète le poids de nos défis actuels. Elle dépasse largement les contours de l'individu pour devenir un enjeu sociétal, une manifestation des tensions et des contradictions de notre temps.

Le ressenti de la fatigue, qui a évolué au fil des siècles, semble intensifié dans notre ère moderne, amplifié par les exigences de performance et les injonctions à l'individualisation. Cette lassitude s'ancre dans un sentiment d'épuisement moral face à la pression constante de devoir "devenir soi-même". Ces symptômes, qu'ils soient d'anxiété, d'isolement ou d'indécision, sont autant de témoignages d'une pression sociétale omniprésente.

Face à cette réalité, il est grand temps de reconnaître que la fatigue est un signal, un appel à repenser nos modes de vie et nos organisations de travail. Il nous est proposé de voir au-delà des besoins individuels et d'aborder la fatigue comme un problème systémique, nécessitant une refonte collective de nos priorités et de nos structures. C'est une invitation à reconsidérer notre rapport au travail, à la communauté et à nous-mêmes, pour construire une société où la santé est placée au centre de nos préoccupations.

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