Dans une société où la jeunesse est souvent célébrée, la ménopause représente un tournant majeur dans la vie des femmes. Sujet longtemps tabou, elle touche chaque année un demi-million de femmes en France. Pourtant, malgré son impact indéniable sur la vie personnelle et professionnelle, la ménopause reste méconnue, voire mal comprise.
J'ai eu l'opportunité de discuter avec Laurence Haurat, auteure du livre "La Révolution Ménopause", qui nous éclaire sur cette période de transition, dévoile les préjugés qui l'entourent et partage des perspectives pour mieux vivre et comprendre cette étape incontournable tant au niveau personnelle que professionnelle. C'est autour de cet échange éclairant que je vous propose d'aborder la ménopause sous un angle à la fois médical, social et émotionnel.
Bonjour Laurence, pour commencer, pourriez-vous nous éclairer sur l’ampleur du phénomène : combien de femmes sont concernées chaque année par la ménopause en France ?
Chaque année, 500 000 nouvelles femmes sont ménopausées et 1 femme sur 2 en France a plus de 50 ans. Les femmes vont vivre 40% de leur vie en ménopause et à l’horizon 2050, avec l’augmentation de la longévité, elles passeront 44% de leur vie en ménopause !
Votre livre parle d’un "nouveau corps avec de nouvelles formes". À quel âge précisément commence cette transition ménopausique et combien de temps dure-t-elle en général ?
Officiellement, la péri-ménopause (ou pré-ménopause) démarre en moyenne à 47 ans et puisque l’âge moyen de la ménopause est de 51 ans, elle dure donc 4 ans environ. Mais en réalité, des phénomènes très silencieux sont déjà en œuvre et on situe le début des changements (à bas bruit) vers 37 ans. Le métabolisme (moteur interne) a commencé à diminuer, les kilos ont pu s’installer, le sommeil être un peu altéré, la digestion plus difficile…
Le monde professionnel, en constante mutation, reste encore très influencé par des stéréotypes liés à l'âge. Selon vous, en quoi la ménopause influence-t-elle la vie professionnelle des femmes ?
Il est important de rappeler que l’installation de la ménopause et son déroulement sont deux phases différentes et que chaque femme vivra SA ménopause. Difficile donc de faire des généralités. Néanmoins, puisque les grands symptômes de la péri-ménopause sont : les bouffées de chaleurs, les perturbations du sommeil, l’irritabilité voire la dépression et chez certaines, le flou intellectuel, on comprend bien comment socialement et professionnellement, certaines femmes peuvent être perturbées : difficulté de concentration, de récupération, manque de tonus, d’énergie, voire même perte d’envies et réactivité augmentée. Par ailleurs, les bouffées de chaleur sont en soi perturbatrices et ouvrent une porte sur l’intimité des femmes.
Ce n’est pas toujours facile d’assumer ces perturbations face à des collègues.
Dans votre livre, l’idée que beaucoup de femmes se sentent "obsolètes" après 40 ans est évoquée. Quel lien faites-vous entre cette perception sociale et l’arrivée de la ménopause ?
Il me semble qu’elles se sentent maintenant obsolètes plutôt vers 45/50 ans, soit de manière concomitante à l’installation de la ménopause. C’est ce que renvoie la société puisqu’elles ne sont plus fertiles, elles deviennent « inutiles ». Les femmes elles-mêmes ont pu internaliser cette perception et peuvent avoir le sentiment d’avoir atteint une sorte de date de péremption.
Leur pouvoir de séduction, l’idéal de l’esthétique souvent associé à l’idée de la jeunesse, la notion de beauté.
En deux mots, le jeunisme et l’âgisme qui traversent toutes les strates de notre société sont particulièrement présent à ce moment de la vie des femmes puisque le vieillissement est accéléré par la ménopause (peau, rides, cheveux, poids…) et donc visible et commenté dans les medias, les réseaux sociaux.
Dans le monde professionnel, on devient « senior » à partir du même âge. Et l’attitude des femmes diffère grandement de celle des hommes lorsqu’on leur annonce cette entrée dans la seniorité. Cela génère une inquiétude et une tentative de se faire oublier là où les hommes revendiquent plutôt du management et des équipes plus importantes.
La santé mentale peut être impactée par la ménopause. Quels sont les principaux défis psychologiques que les femmes rencontrent pendant cette période, notamment dans le cadre professionnel ?
Les fluctuations émotionnelles liées à celles des hormones ainsi que les risques de dépression augmentent significativement puisque le nombre de dépression double pendant les deux années qui entourent l’installation de la ménopause. Par ailleurs, il y a une intrication de la vie personnelle en mutation avec le départ des enfants, parfois la dissolution du couple et des parents qu’il faut aider et la vie professionnelle. Le sommeil altéré peut être une source d’irritabilité ou les femmes peuvent se sentir à cran, manquer de tonus. Hors le milieu professionnel supporte mal de voir ses collaboratrices amoindries. Pour les femmes, il faut donc parvenir à traverser cela de la manière la plus transparente possible. C’est un défi en soi !
Face à ces enjeux, quelles adaptations concrètes les entreprises pourraient-elles mettre en place pour mieux soutenir les femmes ménopausées au travail ?
Certaines expériences ont été menées en Angleterre avec la mise en place de salles de travail fraiches permettant aux collaboratrices souffrant de bouffées de chaleur de travailler dans de meilleures conditions. On pourrait imaginer des journées de repos ou des propositions de télétravail, voire d’horaires décalés pour les collaboratrices ayant un sommeil qui ne les repose pas, des migraines ou un flou intellectuel. Au même titre qu’il existe le congé menstruel, il pourrait exister des « jours ménopause ». Les entreprises pourraient aussi dénoncer et interdire la discrimination liée à l’âge et au sexe. Enfin, il conviendrait de relever et condamner les blagues sexistes en lien avec la ménopause.
À titre personnel, quel conseil donneriez-vous aux femmes pour aborder cette période avec sérénité, tout en maintenant un équilibre dans leur vie professionnelle ?
Je leur propose de s’écouter et d’identifier leurs besoins profonds à ce moment de leur vie. Il y a souvent une recherche de sens et le fait d’être en accord avec soi, de mettre du sens dans sa vie. Cela peut passer par une activité familiale, un changement d’orientation professionnelle, une activité de loisirs, un investissement associatif, une ouverture vers l’art… Si la vie professionnelle n’est pas totalement épanouissante, il y a moyen de retrouver un équilibre avec la vie personnelle investie positivement. La ménopause peut être vue comme la fin d’une partie de la vie mais c’est indéniablement le début d’autre chose. Les Japonais l’appellent « renaissance » ou « nouveau printemps » et je pense qu’ils ont raison d’envisager les choses de cette manière. Une fois la ménopause installée, le corps adapté, revient une énergie vitale, un sommeil de meilleure qualité et une envie de profiter de la vie. Cela passe souvent par un recentrage sur ses propres besoins et ce qui nous semble être adapté pour nous, à ce moment de notre vie.
La vision de la femme "ménopausée" est souvent empreinte de préjugés. Comment, selon vous, pouvons-nous collectivement changer cette perception et valoriser la résilience et la force des femmes à cette étape de leur vie ?
Ces préjugés se basent sur une société qui est jeuniste et âgiste et qui invisibilise la femme de plus de 50 ans. Si mon livre s’appelle « La Révolution ménopause », c’est parce que je pense que nous devons faire bouger la société. Nous ne devrions pas avoir honte et baisser la tête lorsque nous arrivons à cette étape de notre vie. Au contraire, nous devons la relever fièrement car nous sommes des battantes, des guerrières.
Notre corps est marqué, meurtri, mais quel parcours il a fait !
Nous devrions donc assumer ce que nous devenons, faire preuve de sororité plutôt qu’être dans la comparaison. Il nous faut aussi transmettre à nos enfants, nos nièces et neveux, nos petites sœurs et nos conjoints. Il n’y a qu’en ouvrant la parole sur cette étape de vie que nous pourrons la rendre visible et inclusive : montrer nos corps, témoigner de nos cheminements, inspirer d’autres femmes et hommes.
Enfin, que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre et comment espérez-vous qu'il contribue à la "révolution ménopause" dans notre société ?
J’aimerais qu’il retienne qu’il y a une double révolution : l’intime, la personnelle parce que cette période de vie est une période de changements importants tant corporellement que psychologiquement. Ce livre se veut aidant : il propose des clés d’information et de compréhension mais aussi des pistes qu’il faut explorer pour trouver ce qui convient à chacune. L’autre révolution est sociétale. En parlant, en transmettant et en s’entraidant, les femmes en cours de ménopause pourront se rendre compte de l’immense pouvoir qu’elles représentent. Notre génération peut lever un des derniers tabous de la vie de la femme. C’est maintenant !
Psychologue et diététicienne, Laurence Haurat prend en charge des problématiques de poids, d'insatisfaction corporelle et d'alimentation, principalement chez les femmes. Autrice de nombreux ouvrages, elle s'intéresse dans son dernier livre aux changements corporels, psychologiques et sociétaux chez la femme en cours d'installation de la ménopause. Elle vient de publier "La Révolution ménopause", Ed. Solar et Dr Good. Conférencière et intervenante dans de nombreux medias, elle a à coeur de transmettre et d'accompagner le plus grand nombre et de les aider à pacifier leur rapport à leur corps, leur poids et leur alimentation.
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