Cet article est particulier. Pas seulement parce qu’il parle d’écoute, un mot que l’on croit connaître par cœur, et qui pourtant nous échappe dès qu’on tente de le définir.
Mais parce qu’il est né d’un moment suspendu, précieux. Une journée entière, partagée avec onze personnes formidables, venues se questionner avec moi. Pas pour apprendre une méthode. Pas pour valider des cases. Mais pour éprouver ce que signifie vraiment écouter.
Il n’y a pas de grande théorie ici. Pas de mode d’emploi. Seulement des mots, des instants, des questions.
Et ce fil invisible qui nous a reliés, nous douze, dans une même pièce, autour d’un cercle, autour d’expériences partagées.
Des expériences d’écoute, vécues parfois du côté de celui qui tend l’oreille. Parfois du côté de celui qui n’ose plus parler. Des instants de vérité, sans performance, sans masque, où chacun a déposé un morceau de soi.
Ce que vous allez lire, c’est la trace de cette journée. Un écho à nos silences, à nos tremblements, à nos rires aussi. Une tentative de faire place à l’essentiel, avec délicatesse.
Peut-être que ces lignes vous inviteront, vous aussi, à revisiter votre rapport à l’écoute. Peut-être qu’elles vous toucheront, ou vous remueront. Qu’elles feront surgir un souvenir, une envie, un regret.
Mais si elles peuvent simplement accompagner, si elles peuvent tenir compagnie à vos propres réflexions, alors elles auront déjà rempli leur rôle.

Créé par Noémie GUERRIN avec Adobe Firefly (2025, Tous droits réservés)
Ce que l’on croit être de l’écoute… et ce que cela n’est pas toujours
Quand on pense bien écouter… mais qu’on parle de soi
Tu crois écouter, tu hoches la tête, tu ponctues d’un « je comprends », tu ajoutes parfois une anecdote personnelle, comme un écho. Et pourtant, ce réflexe, si humain, glisse doucement la conversation ailleurs : vers toi.
Mais est-ce vraiment de l’écoute ?
Ce phénomène est bien connu : on parle de résonance émotionnelle. L’émotion de l’autre active en nous un souvenir, une émotion similaire, et, sans en avoir conscience, on cherche à la ramener dans notre champ de référence. Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est un besoin de se relier. Mais cette résonance peut, paradoxalement, détourner l’attention de celui qui parle.
Tu le sais si tu as déjà vécu ce moment : tu partages enfin quelque chose de fragile, et l’autre répond aussitôt par son histoire. Même avec bienveillance, tu ressens comme un petit retrait. Ton espace s’est refermé. Ton émotion est passée en second plan.
Dans la relation d’aide, on parle alors de centrage sur l’autre. C’est une posture fondamentale : écouter, ce n’est pas se projeter, c’est accueillir. C’est accepter que l’histoire de l’autre ne cherche pas forcément une comparaison, mais une validation.
Et puis, il y a le « on ». Ce pronom flou, qui rapproche parfois mais aussi qui universalise et dilue : « on est tous passés par là », « on comprend ce que tu vis ». Ces phrases peuvent réconforter, mais souvent, elles déplacent. Car dans l’écoute authentique, il n’y a pas de généralité. Il n’y a que l’unique, le singulier, le « je t’entends toi, dans ce que tu vis ».
« L’homme a deux oreilles et une bouche pour écouter deux fois plus qu’il ne parle. »
— Alphonse Allais
Écouter, c’est renoncer à se justifier, à expliquer, à conseiller trop tôt. C’est faire de la place. Et dans nos environnements professionnels, où la performance prime sur la lenteur, où les échanges sont souvent fonctionnels, ce type d’écoute est un luxe rare. Mais il est aussi un acte de soin.
Et si écouter, vraiment, c’était commencer par ne rien ajouter ?
Tu es là attentif·ve, en silence, tu crois bien faire : tu ne coupes pas, tu ne juges pas, tu laisses l’autre parler. Et c’est déjà beaucoup, dans un monde pressé. Mais parfois, cela ne suffit pas. Car écouter, ce n’est pas seulement contenir, c’est être en lien.
Quand on arrive à toucher du doigt cet « état de grâce », on parle de présence engagée. Une posture où l’on ne se contente pas d’entendre, mais où l’on se rend disponible, en conscience, à ce que l’autre vit. Écouter, ce n’est pas seulement être un témoin silencieux ; c’est être une présence qui prend soin.
Et ce soin, il n’est pas neutre. Tu peux être là, et pourtant, l’autre se sent seul·e. Car si ton silence ne résonne d’aucun accueil, s’il ne traduit aucun engagement, il devient vide, inhospitalier, comme une pièce froide où l’on parle sans jamais être vraiment entendu.
Alors il faut nommer cette autre dimension de l’écoute : la responsabilité émotionnelle. Celle qui oblige, non pas à tout résoudre, mais à ne pas rester indifférent·e. Accueillir une parole fragile, c’est accepter de ne plus faire comme si de rien n’était.
Et parfois, cette parole vient te percuter. Elle t’inquiète, te confronte. Tu sens qu’il y a là un poids que tu ne peux pas porter seul·e, un appel à l’aide qui ne dit pas son nom. Alors tu hésites... Tu respectes le secret… ou tu respectes la vie ?
C’est là qu’intervient la notion de loyauté éthique, chère à la psychologie du travail dans les contextes d’accompagnement : être loyal à l’autre, ce n’est pas toujours garder le silence. C’est parfois savoir dire : « Je ne peux pas porter cela seul·e. Nous allons chercher un appui. » Non pour trahir, mais pour protéger.
« Il faut trois ans pour apprendre à parler, et toute une vie pour apprendre à écouter. »
— Confucius
Écouter, ce n’est pas s’effacer. C’est discerner et danser sur ce fil tendu entre respect et responsabilité, en sachant que certains silences sont des cris, et que certaines confidences exigent un relais.
Alors non, l’écoute n’est pas un acte passif.
C’est un choix, à chaque instant : celui d’entrer dans la relation, de porter avec délicatesse ce qui a été confié, et, parfois, de tendre une main au-delà des mots.
Ce qui peut freiner ou fausser l’écoute
Ce qu’on apporte sans le vouloir dans l’écoute
Tu t’assois, tu te poses, tu veux être là. Mais ce que tu ignores parfois, c’est ce que tu poses aussi entre toi et l’autre, sans t’en rendre compte tes souvenirs, tes attentes, tes blessures anciennes. Comme un sac invisible, posé à tes pieds, mais bien présent.
Dans les métiers de la relation, on parle de contre-transfert. C’est ce mouvement silencieux, mais puissant, où ce que vit l’autre réveille en nous quelque chose de non résolu. Un écho intérieur, souvent inconscient, qui vient parasiter notre capacité d’accueil.
Et ça peut tout changer.
Tu écoutes, et soudain, une émotion monte. Une colère qui n’est pas la tienne, une honte qui te serre sans que tu comprennes pourquoi. Tu n’es plus seulement témoin : tu es engagé émotionnellement, parfois à ton insu.
C’est là que l’écoute se trouble. Non pas par manque de volonté, mais par excès de résonance. Parce que quand l’histoire de l’autre réveille une zone sensible en toi, ton écoute se déforme. Tu te crispes, tu t’éloignes et tu te protèges.
Et dans les environnements professionnels, où l’on apprend souvent à maîtriser ses émotions plus qu’à les comprendre, cette confusion intérieure peut passer inaperçue. On continue d’écouter… mais on n’est plus vraiment disponible.
Il y a aussi ces moments où l’émotion de l’autre est trop vive, trop tranchante. La colère, surtout, vient heurter. Et même quand on sait qu’elle ne nous est pas destinée, elle touche. Parce qu’on l’a appris : la colère est suspecte, elle dérange. Mais elle est souvent la manifestation la plus brute d’une souffrance en quête de reconnaissance.
Alors il ne s’agit pas de tout absorber, ni de tout encaisser. Mais de distinguer ce qui nous appartient de ce qui appartient à l’autre. Et ça, cela demande une autre forme d’écoute : l’écoute de soi.
Se demander : dans quel état suis-je, moi, pour accueillir ce que l’autre traverse ? Est-ce que j’ai l’espace en moi, aujourd’hui, pour rester ouvert·e, stable, accueillant·e ?
Parce qu’il y a des jours où l’écoute la plus juste est celle qui ose dire : « Pas maintenant. Je tiens à toi, et je veux être vraiment présent·e. »
Écouter, ce n’est pas se sacrifier, c’est se situer. Et parfois, c’est en apprenant à s’écouter soi-même qu’on peut, enfin, écouter l’autre pleinement. Et peut-être qu’avant d’écouter l’autre, il faudrait apprendre à écouter ce qui se passe en soi.
Les biais relationnels
Tu crois que tu choisis à qui parler, et à qui tu ouvres tes silences. Mais souvent, ce choix n’est pas aussi libre qu’il en a l’air. Il est tissé d’intuitions, de prudences, d’attentes silencieuses. On ne parle pas toujours à celui ou celle qui pourrait vraiment entendre, mais à celui qu’on espère prévisible, rassurant, indulgent.
Et si l’on te sollicite souvent pour écouter, ce n’est peut-être pas parce que tu es disponible, mais parce que tu incarnes, malgré toi, une figure : celle qui ne juge pas, celle qui console, celle qui ne renvoie jamais à la complexité.
En psychologie sociale, on parle de rôles projectifs : ce que l’autre voit en toi n’est pas toujours toi, mais une image intérieure, une projection de ce qu’il espère trouver. On croit s’adresser à une personne, mais parfois, on s’adresse à une idée.
Ces projections ne sont pas anodines. Elles façonnent la relation, elles colorent l’échange et elles créent des attentes implicites, souvent invisibles, qui influencent la profondeur de l’écoute.
Il y a aussi ce filtre omniprésent qu’on oublie de nommer : le genre.
Celui qu’on incarne, parfois à notre insu, dans le regard des autres. Est-ce qu’une femme est accueillie de la même façon quand elle parle de sa colère ? Est-ce qu’un homme est faible quand il ose dire qu’il a peur ?
Le genre agit ici comme un biais d’interprétation. Il façonne la crédibilité perçue, la légitimité émotionnelle, l’espace accordé à certaines paroles. C’est un prisme invisible, mais structurant.
Et toi, quand tu écoutes… à quoi réponds-tu vraiment ? À ce que l’autre dit ? Ou à ce que tu crois déjà savoir de lui ?
Dire « je sais ce que tu ressens », c’est souvent dire trop vite. Parce qu’on ne sait jamais tout à fait. On peut deviner, ressentir, imaginer. Mais il reste toujours une part inconnue, et c’est elle qu’il faut honorer.
« Être écouté, c’est être remis au monde, c’est exister, c’est comme si on vous redonnait toutes les chances d’une vie neuve. »
— Christian Bobin
Écouter, c’est faire ce choix : celui de rester au seuil de l’autre, sans vouloir entrer avec ses propres clés. C’est dire, par sa posture : je ne sais pas, mais je suis là. Et je veux apprendre, depuis ton monde, pas depuis le mien.

Infographie les écolohumanistes - écoute active
Quand l’écoute devient un soutien, un lien, un relais
Quand l’écoute ouvre
Il y a des silences qui durent depuis des années, des phrases qui se sont échouées mille fois dans la gorge, sans jamais franchir la barrière des lèvres.
Et puis, un jour, quelqu’un ose poser une vraie question : pas une question utile, ni une question brillante. Une question simple, déposée comme une main légère sur une épaule : « Et toi, comment tu vis ça ? »
À ce moment-là, quelque chose s’ouvre. Pas dans la tête mais dans le corps. Dans ce nœud resté muet trop longtemps. Et l’on découvre qu’on avait, sans le savoir, un besoin urgent d’être entendu.
Ce dont on a besoin alors c’est de reconnaissance émotionnelle : ce besoin profond d’être vu dans sa singularité, sans être corrigé, recadré ou interprété. Parce qu’avant même de vouloir être aidé, on veut être reconnu.
Et dans cette reconnaissance, il y a plus qu’un soulagement. Il y a une revalidation de l’expérience, une confirmation intime : « Oui, ce que tu ressens a un sens. Tu n’inventes pas et tu n’exagères pas. »
C’est cela, la validation émotionnelle. Elle ne consiste pas à approuver, ni à consoler. Elle consiste à accueillir, sans débat, l’émotion telle qu’elle se présente. Et souvent, elle suffit à apaiser.
Tu as peut-être déjà vu ce basculement : cette manière qu’a une personne de respirer autrement, juste après qu’on lui ait dit « je te crois ». C’est subtil, mais profond. Comme si, enfin, elle avait le droit d’exister de manière entière.
Parce que le plus douloureux n’est pas toujours ce qu’on vit. C’est de douter qu’on ait le droit de le vivre. L’écoute vraie, celle qui ouvre, agit alors comme un miroir. Pas un miroir qui juge ou redresse mais un miroir doux, qui révèle : « Ce que tu ressens, ça parle de toi, et c’est précieux. »
Et dans cette reconnaissance, un autre mouvement devient possible : la cohérence intérieure. Ce moment où l’on arrête de se débattre avec ses morceaux, où l’on se voit autrement.
« L’écoute active, c’est savoir entendre le ressenti au-delà du fait, et au-delà du ressenti, permettre au retentissement d’émerger, de se dire. »
— Jacques Salomé
Écouter, vraiment, c’est permettre à l’autre de renouer avec lui-même. Sans refaire son histoire, sans combler les manques, juste en laissant la place. C’est peut-être là que l’écoute devient un langage sans mots creux, sans habillage... Un langage qui dit : « Je te respecte assez pour ne pas vouloir te changer. »
Et dans un monde où l’on se parle beaucoup pour se rassurer, il est rare, et profondément réparateur, de trouver un espace où l’on peut juste être ensemble, en silence et être accueilli·e comme tel·le.
Quand l’écoute transforme
Il y a des liens qui se forment sans bruit, des liens qu’on ne signe pas, qu’on ne promet pas, mais qu’on tisse un mot après l’autre, un silence après l’autre.
Écouter, ce n’est pas juste accueillir, c’est parfois aimer sans le dire. Il y a des gens à qui on n’a jamais dit “je t’aime” mais à qui on a tout raconté. Et il y a des “je t’écoute” silencieux qui valent mille “je suis là pour toi” criés trop fort.
Tu as peut-être déjà vécu un moment où, sans le vouloir, sans le prévoir, une relation a changé. Parce qu’un jour, tu as parlé et l’autre n’a pas fui. Il n’a pas conseillé, il n’a pas comparé, il n’a pas détourné la conversation vers lui, il est resté.
Et c’est dans ce “rester” que quelque chose s’est transformé. Les relations se tissent dans l’écoute, et ce n’est pas une formule. C’est une vérité simple : quand quelqu’un te donne l’espace d’exister sans avoir à te justifier, tu ne l’oublies jamais.
Et puis, parfois, il y a ces mots qu’on prononce pour la première fois :
“Je crois que je vais mal.”
“Je suis fatigué.”
“J’ai peur.”
“Je ne sais plus.”
Et le simple fait de les dire, de les entendre résonner dans l’air… ça te retourne. Parce que tu les portais depuis longtemps, ces mots-là, mais tu n’avais jamais eu l’autorisation de les poser. Et soudain, ils sortent, ils prennent forme. Et en les nommant, tu t’entends, tu te reconnais, tu t’accordes le droit de sentir ce que tu ressens. C’est ça aussi, l’écoute : un miroir qui parle à voix basse.
Et puis il y a les espaces, ces moments un peu suspendus, ces temps où rien ne se dit mais où tout est là.
Un café partagé sans bruit, une voiture qu’on conduit sans parler, un banc, un regard. Tu ne dis rien, l’autre non plus.
Et pourtant, tout s’allège.
Parce que tu sais qu’on est là, qu’on veille, qu’on respire ensemble. Tu n’as rien résolu, tu n’as pas changé le monde, mais tu as fait de la place. Et cette place-là, parfois, suffit à ce que la douleur s’apaise.
Alors oui, l’écoute ne guérit pas tout. Mais elle répare quelque chose de fondamental : le lien.
Démonstration d'une situation d'écoute active - extrait du film Vice Versa 2
Les limites de l’écoute
Quand l’écoute ne suffit pas
Il y a des moments où tu fais tout bien. Tu es là, tu ne juges pas, tu restes, même quand c’est inconfortable. Et pourtant… ça ne suffit pas. Parce qu’il y a des douleurs trop lourdes pour un seul cœur, des nuits trop longues pour un seul regard, des cris intérieurs qu’on ne sait pas traduire.
Tu as déjà peut-être écouté quelqu’un au bord. Pas juste triste, pas juste fatigué. Au bord. Et dans ces instants-là, tu comprends une chose essentielle : être là, ce n’est pas toujours assez. Tu voudrais que ton attention sauve, que ta présence raccroche l’autre à la vie. Mais parfois, l’autre est ailleurs... trop loin. Et ce n’est pas toi qui peux le ramener.
Et ça fait mal. Parce que tu t’en veux, tu te dis que tu aurais pu faire plus. Mais l’écoute n’est pas une baguette magique. C’est un acte de soin, pas de réparation. Il y a des crises qui demandent plus que des mots. Elles demandent un cadre, un relais, un filet de sécurité plus large que toi.
Une équipe, un système, une urgence reconnue. Et c’est là qu’on touche une autre limite : celle du systémique. Tu écoutes un collègue en burn-out, tu entends, encore une fois, les mêmes phrases :
“On est trop peu.”
“On va trop vite.”
“On n’a pas le droit d’être fatigué.”
Tu écoutes, tu comprends. Mais au fond de toi, tu sais que ce n’est pas une question individuelle. Tu pourrais écouter toute l’équipe, faire des cercles de parole tous les lundis matin. Mais tant que l’organisation reste la même, tant que la culture valorise l’épuisement comme une preuve de loyauté… Ton écoute, si précieuse soit-elle, est un pansement sur une fracture ouverte.
Et tu le sens, tu le sais. Alors tu doutes, tu fatigues, tu te demandes : à quoi bon ? Mais même là, ton écoute a du sens.
Parce qu’elle atteste, elle témoigne, elle refuse que l’autre soit seul. Ce n’est pas rien. Ça ne fait pas tout, mais ce n’est pas rien !

Infographie Smileatjob - l'écoute en management
Quand ce qui est confié devient lourd à porter
Tu écoutes, tu ne coupes pas, tu encaisses.
Et puis, une fois seul·e, tu te rends compte que tu n’as pas juste écouté : tu as absorbé. Comme une éponge pleine d’histoires trop denses, trop douloureuses, trop proches. Parfois, ce que l’on nous confie, on ne peut pas toujours le poser quelque part.
C’est là que l’écoute révèle une autre face : celle de l’impact invisible. On le ramène chez soi, on y pense en se brossant les dents, on y repense au feu rouge, sans y être invité. Et parfois, on en rêve la nuit, sans savoir comment le rendre à son propriétaire.
C’est recevoir, porter, contenir. Mais contenir ne veut pas dire s’effondrer sous le poids. Et pourtant, beaucoup le font en silence. Ils deviennent les boîtes aux lettres des confidences, les murs sur lesquels tout le monde s’appuie. Et un jour, ils se fissurent.
Alors que faire de ce qu’on nous confie ?
Parfois, on se sent illégitime d’en parler à notre tour, on se dit que ce n’était pas notre douleur, que ce n’est pas à nous de s’en plaindre. Mais l’impact est là, invisible mais réel. L’accueil de ce que l’autre dépose peut être compliqué. Pas parce qu’on est faible, mais parce qu’on est humain.
Il y a des récits qui réveillent nos propres peurs, des confidences qui nous placent face à nos limites, des mots qu’on aurait aimé ne jamais entendre, parce qu’on ne sait pas quoi en faire. Et pourtant… on est là, on veut bien faire, on veut aider. Alors, on oublie parfois de prendre soin de soi.
On oublie qu’un bon écoutant, c’est aussi quelqu’un qui sait se faire écouter. Ce n’est pas trahir la confiance reçue que d’aller déposer, à son tour, ce qui nous pèse. Ce n’est pas trahir… c’est continuer la chaîne du soin.
Dans les espaces d’écoute, il faudrait toujours prévoir un endroit pour déposer l’après. Un sas, un lieu, un regard. Quelqu’un qui dit : “Et toi, maintenant, comment tu vas ?” Parce que pour tenir longtemps, pour écouter vraiment, il faut parfois être deux à porter.
Et si tu en doutais encore : ce n’est pas trahir un secret que d’exprimer ton propre besoin de soutien. C’est honorer la responsabilité du lien. C’est dire : ce que j’ai entendu compte. Et moi aussi, j’ai besoin qu’on veille un peu sur moi.
Écouter, une posture, pas une technique
L’écoute, ce n’est pas que des mots.
Il y a des gens qui parlent peu, qui cherchent leurs mots comme on cherche ses clés dans l’obscurité. Et il y a ceux qui ne les cherchent même plus parce qu’on ne leur a jamais appris qu’ils avaient le droit de les poser quelque part.
Tu les croises tous les jours. Ils te disent « ça va », mais leur regard flotte ailleurs. Leur voix tremble un peu, leur dos ploie légèrement, comme s’ils portaient quelque chose que tu ne vois pas.
Et si écouter, c’était ça aussi ?
Entendre ce qui ne se dit pas, ressentir ce qui déborde, même en silence. Parce que non, l’écoute n’est pas toujours verbale. Elle n’a pas toujours besoin d’une chaise, d’un “je t’écoute”, d’un hochement de tête bienveillant.
Parfois, elle se loge dans un détail : Le collègue qui arrive toujours plus tôt, mais qui ne dit jamais bonjour, la collaboratrice qui ne mange plus avec les autres depuis des semaines, le manager qui répond trop vite, trop fort, comme pour ne pas s’écouter lui-même. Ce sont des signaux faibles. Ils ne crient pas, ils chuchotent. Et il faut une présence fine pour les capter.
Écouter, c’est aussi affûter son attention. Pas l’attention de contrôle, celle qui surveille, mais l’attention de soin, celle qui remarque. Les signaux faibles, ce sont les coulisses du langage, ce qui trahit la façade, ce qui dit : "je suis là, mais pas tout à fait."
Mais pour les percevoir, encore faut-il ne pas être saturé, encore faut-il soi-même avoir de la place en dedans. Parce qu’on n’écoute pas bien quand on court, quand on est en réunion depuis trois heures, quand on pense déjà à l’après, au mail qu’il faut envoyer, au frigo à remplir. Les signaux faibles, ce sont des murmures. Et on n’entend pas les murmures quand on vit dans le vacarme.
Alors non, écouter ce n’est pas toujours poser des questions. Parfois, c’est juste s’arrêter, lever les yeux et voir ce qu’on ne regarde plus. C’est peut-être ça, la forme la plus subtile de l’écoute : un art de la présence, silencieux, patient, profondément humain.
Être là, vraiment.
Il y a cette idée qu’écouter, c’est un acte, une chose qu’on fait. Mais ce n’est pas seulement ça.
Écouter, ce n’est pas faire, c’est être là vraiment. Pas juste physiquement, pas juste en hochant la tête. Mais avec tout ce qu’on est : corps, esprit, attention, présence.
Et ça se sent quand quelqu’un t’écoute avec son téléphone à la main, les yeux qui papillonnent, le “hm hm” qui tombe toujours au bon moment mais jamais avec justesse. Tu le sais, tu le ressens dans le ventre, ce petit décalage, ce "je t’écoute" qui sonne creux.
La présence, elle ne s’invente pas, elle se cultive. C’est un choix, à chaque instant, de ne pas fuir là où c’est plus confortable, de ne pas penser à ce que tu vas répondre, de ne pas préparer ta réplique pendant que l’autre parle. C’est un choix d’offrir à l’autre un vrai espace, pas un couloir : une pièce entière.
Et parfois, les moments les plus puissants d’écoute ne sont pas planifiés. Ils surgissent entre deux bouchées, au détour d’un café, d’un coin de couloir. Quelqu’un te dit, l’air de rien : « Ça va. » Et puis ajoute, après deux secondes : « Enfin… pas vraiment. » Ces moments-là, si tu es présent·e, tu les attrapes. Si tu es ailleurs, ils glissent...
Alors comment on fait pour favoriser l’écoute dans ces temps informels ?
On commence par ralentir, par être moins pressé d’avoir terminé. On accueille les silences, les hésitations, les "je ne sais pas trop comment dire ça". On pose des questions simples, pas pour creuser, mais pour ouvrir :
« Tu veux en parler ? »
« Tu veux un peu d’air ? »
« Tu veux juste qu’on reste là ? »
On écoute aussi avec les yeux, avec les épaules, avec la tasse qu’on pose lentement. On crée de l’espace sans le dire. Et parfois, c’est dans ces espaces-là que les vraies confidences viennent.
Être là, c’est dire : "Tu peux t’appuyer sur moi, juste un instant, je suis stable." Même si à l’intérieur, tu ne te sens pas toujours si solide. Mais être là, ce n’est pas être parfait, c’est être disponible, c’est être humain.

Infographie Horizon Santé Travail - écoute active
Quelques mots pour conclure
Il y a des jours où rien ne change et pourtant, tout se transforme. Pas parce qu’on a trouvé une solution, pas parce que la douleur est partie. Mais parce qu’une main s’est tendue. Juste ça : une main.
Pas pour attraper ou pour tirer, ni pour guider ou pour consoler. Juste une main posée là, ouverte, à la bonne hauteur, dans le bon silence.
Tu ne l’as peut-être jamais vraiment formulé, mais tu le sais : être écouté, vraiment, soigne. Pas comme un médicament, pas comme une réponse. Mais comme une présence qui panse, une attention qui recolle des morceaux qu’on pensait définitivement éparpillés.
Et parfois, la personne en face ne sait pas quoi dire. Elle ne trouve pas les mots. Elle dit : “je vais bien”, ou elle ne dit rien, elle évite, rit trop fort, parle météo alors que tu sens bien que quelque chose ploie sous la surface.
Est-ce qu’on peut tendre une main à ceux qui n’ont pas les mots ?
Oui, mais il faut apprendre une autre langue. Celle des regards qui s’attardent, des silences qui n’écrasent pas, des gestes simples : un café, une porte qui reste ouverte, un “je suis là si tu veux”.
Ce ne sont pas des preuves, encore moins des thérapies. Ce sont des signaux de sécurité.
Et parfois, ces signaux suffisent. Ils ne dénouent pas les nœuds, mais ils donnent envie d’essayer.
Ils ne soignent pas la blessure, mais ils disent : “Tu as le droit d’exister ici, avec tout ce que tu ressens, même si tu ne sais pas le dire.”
Et tu sais quoi ?
Ce sont souvent ces gestes-là qu’on n’oublie jamais. L’écoute, dans sa forme la plus pure, n’attend rien.
Elle ne veut pas comprendre, résoudre ou gagner. Elle veut juste être là, humblement, et laisser l’autre savoir qu’il n’est plus seul.
Et ça, ça change tout.
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